Hubert Reeves

 

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10 questions à Daniel Kunth sur la théorie du Big Bang

10 questions à Daniel Kunth sur la théorie du Big Bang suite à la découverte, fin 2005, d'une galaxie massive qui remettait en question la théorie du Big Bang : En effet, son âge était estimé à plus de 13 milliards d'années, soit à peu de choses près le même âge que l'Univers lui-même, ce qui remettait en question le processus d'organisation de la matière (notamment de la formation des galaxies) jusqu'à la Relativité générale elle-même ...

Propos recueillis en Juin 2006 ...

! Cet article est en attente de ses images, merci pour votre compréhension !

Sommaire

Daniel KUNTH, vous êtes astronome à l'Institut d'Astrophysique de Paris (IAP), vous êtes également directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS), spécialiste en astrophysique extragalactique et en cosmologie.

Une galaxie très ancienne

1/        Fin 2005, le télescope spatial Hubble repère une galaxie dans la constellation de la Baleine : HUDF-JD2. Après étude, il apparaît que cette galaxie, distante de 13 milliards d’années (la plus éloignée jamais observée), aurait une masse de 600 milliards de masses solaires, soit 4 fois plus massive que la Voie Lactée ! Cette découverte est autant stupéfiante qu’inquiétante, car une galaxie si massive ne devrait pas se trouver si loin et donc si tôt dans l’âge de l’Univers, et elle remet en cause nos connaissances en cosmologie. En effet, l’âge de l’Univers est estimé à 13.7 milliards d’années selon la théorie du Big Bang, et une galaxie ne saurait devenir aussi massive en 700 millions d’années …
Concernant l’âge de cette galaxie, les étoiles étudiées en son sein se seraient formées dans le meilleur des cas 200 millions d’années après le Big Bang, et dans le pire des cas 100 millions d’années avant même la naissance de l’Univers !
Est-il donc possible que la découverte de cette galaxie géante puisse remettre en cause la théorie du Big Bang ? Ainsi, pensez-vous que la théorie de la relativité générale puisse être sinon fausse, du moins incomplète ?

Voilà une nouvelle découverte qui comme toujours semble remettre en cause le sacro saint Big Bang. Mais qu’on se le dise une bonne fois, le Big Bang n’est pas sacro saint et les scientifiques n’y tiennent pas plus que ça. Il se trouve que c’est la meilleure théorie que nous ayons ! Un jour sans doute nous serons amenés à y renoncer ou à la transformer au profit d’une autre plus englobante, voire complètement différente dans son principe mais qui aussi devra expliquer le fond cosmologique, l’abondance des éléments légers, la nuit noire, etc …

Pour la formation des galaxies, nous disposons dans le cadre du Big Bang du scénario dit « hiérarchique » par lequel les petites structures se forment d’abord et peu à peu se rejoignent pour donner naissance aux plus grandes.

Dans ce cadre on voit mal, en effet, comment une grosse galaxie comme celle de la Baleine aurait pu se former si vite. Cela ne signifie pas que le modèle hiérarchique est faux, mais qu’il n’explique pas tout ! Il semble donc qu’un autre mode de formation des structures soit à l’œuvre, comme celui connu depuis fort longtemps qui postule un effondrement sans entrave d’une grande masse de gaz en un temps très rapide. C’est ainsi, pense t-on, que les grandes galaxies elliptiques se seraient formées : très tôt et très vite. Donc les deux modes peuvent exister, le mode hiérarchique se met en place petit à petit, sur des milliards d’années et fait naître les spirales par exemple. L’autre très vite dès la fin de l’époque dit de recombinaison. La théorie de la relativité générale n’est pas remise en cause ici.

D'autres galaxies plus lointaines ?

2/       Avec l’affinement et l’amélioration continue des techniques d’observation, doit-on dans un avenir plus ou moins proche s’attendre à observer de nombreuses galaxies du même type, voire même aux caractéristiques encore plus extrêmes ?

Oui. De nombreuses campagnes de recherches de galaxies lointaines ont déjà fourni un lot de galaxies aux propriétés étonnantes. Citons par exemple celles reposant sur l’identification de la raie Lyman alpha située à 1216 Angstrom et qui s’observe en émission. Cette raie est émise par les atomes d’hydrogène ionisé présent dans une galaxie en train de former de grandes quantités d’étoiles de grande masse (et susceptible d’ioniser le gaz neutre dont elles sont issues). Cette raie est en principe si intense qu’elle est visible (décalée vers le rouge en raison de l’expansion de l’Univers) jusqu’à des distances qui permettent d’identifier des galaxies apparues 1 milliard d’années après le Big Bang. Mais le véritable challenge aujourd’hui est de remonter plus loin dans le temps et couvrir la période qui s’étend entre celle ou l’Univers est électriquement neutre (300 000 ans après le Big Bang, au moment de la « recombinaison »), permettant à la « gravité  » de s’exprimer librement si je puis dire et celle où nous voyons les premières galaxies dans les clichés comme celui du Hubble Deep Field, c’est à dire un milliard d’années après le Big Bang.

La période entre ces deux moments s’appelle communément « dark age » et signifie bien notre ignorance des processus exacts qui s’appliquent à la formation des structures. C’est certainement dans le domaine de l’astronomie sub-mm et mm que l’avancée sera décisive. Dans cette région du spectre, on s’attend à débusquer les galaxies naissantes, sans doute nimbées de poussières ou riches en ultraviolet (mais décalé vers le « rouge ») qui nous renseignerons sur ces chaînons manquants. Ces projets en cours ont pour nom ALMA qui verra le jour dans cinq ans environ, ou encore dans le domaine centimétrique cette fois le projet SKA (Square Kilometer Array).

Il existe des sites web qui décrivent dores et déjà la teneur de ces projets extrêmement ambitieux et qui sont sans aucun doute les enjeux majeurs de la cosmologie de demain.

Nos théories à revoir : le Big Bang ou la formation des galaxies ?

3/        Avant de remettre en cause la théorie de la relativité générale et du Big Bang, ne faudrait-il pas mettre à l’épreuve les théories de formation des étoiles et d’évolution des galaxies par croissance hiérarchique ?

On travaille de front. Il est bon de suivre une idée directrice et de voir jusqu’ou elle mène. Mais certains chercheurs ont d’autres inspirations et il ne faut pas les brider. Tout cela rend compte de la complexité de l’Univers. Rien n’est jamais aussi simple qu’on se l’imagine.

Le rayonnement de fond diffus cosmologique

4/        La théorie du Big Bang est une formidable machine à expliquer l’histoire de l’Univers, et la quasi-totalité des observations la renforcent un peu plus chaque jour. Aujourd’hui, peu nombreux sont les scientifiques qui doutent encore de son fondement et de sa véracité.
Pourtant, il y a encore des zones d’ombres qui peuvent laisser planer un certain doute, notamment concernant le rayonnement fossile, ou fond diffus cosmologique.
En effet, les écarts de températures détectés en 2003 par WMAP, sensés être les causes de formation des grumeaux de matière, embryons de galaxies, semblent trop infimes pour avoir pu permettre d’expliquer la présence de galaxies si tôt dans l’histoire de l’Univers (0,0002°c). Les théories de formation des galaxies peinent à expliquer le fait qu’un milieu si homogène ait pu engendrer de tels écarts de température et de densité entre le vide interstellaire et le cœur des étoiles et galaxies, seulement quelques dizaines ou centaines de millions d’années après l’instant zéro.
Certains physiciens ont avancés l’idée qu’une partie du rayonnement fossile puisse être dû à des phénomènes physiques locaux (poussières ou gaz interstellaires), voire du système solaire lui-même, ce qui biaiserait notre interprétation sur cette première lumière de l’Univers …

Dans ce cas, les données recueillies sur ce fond diffus cosmologique ne devraient-elles pas être réinterprétées ? Ne serait-ce que pour lever les soupçons.

Il semble qu’au contraire les données de WMAP réinterprétées récemment après des années d’analyse ne font qu’aller dans le  bon sens. C’est d’ailleurs ce qui surprend car le Big Bang est somme toute est assez simple : peu de paramètres et beaucoup de phénomènes, au demeurant indépendants (nucléosynthèse, fuite des galaxies, etc..) découlent de ces hypothèses. Les fluctuations observées sont bien expliquées sur plusieurs ordres de grandeur (les fameux pics de la fonction d’auto corrélation pour parler savamment). Mais bien sûr nous attendons les données du satellite Planck, lequel couvrira tout le ciel et mesurera la « polarisation » afin de valider davantage les détails du scénario. Si la validation ne fonctionne pas ou si elle est incomplète alors nous chercherons à compléter ou refonder la théorie !!!

« Le satellite Planck, sélectionné par l'Agence Spatiale Européenne (ESA), dont le lancement est prévu pour mars 2007 sera capable de mesurer les fluctuations de température avec une résolution angulaire de l'ordre de 5 minutes d'arc ; nous serons par conséquent en mesure de calculer le spectre de puissance des fluctuations primordiales jusqu'à des multipôles de l'ordre de l=2100. De plus, il est prévu de munir certains canaux de polarimètres nous permettant ainsi de mesurer la polarisation du rayonnement de fond cosmologique. Cette information est d'un point de vue théorique extrêmement important puisqu'elle nous renseignera sur l'éventuelle période de réionisation de l'univers et sur les ondes gravitationnelles primordiales (qui génèrent aussi des fluctuations de la métrique, ce sont les fluctuations dites tensorielles). »

Benoît Revenu (Astrophysique Hautes Energies -  Cosmologie et Gravitation, IAP)

La masse manquante de l'Univers

5/        La matière noire et l’énergie noire … Sans vouloir faire de mauvais jeu de mots, voici deux autres zones d’ombres dans la théorie du Big Bang !
L’une est sensée augmenter considérablement la masse et la force gravitationnelle des galaxies pour coller aux modèles théoriques de formation des galaxies (malheureusement elle est indétectable) ; l’autre est sensée expliquer l’accélération de l’expansion de l’Univers, également pour être en cohérence avec la théorie en place.
Dans les deux cas, ces nouveaux paramètres aussi exotiques qu’hypothétiques ne sont-ils pas les résultats de notre incapacité à répondre à ces questions fondamentales par la seule théorie du Big Bang ?

Peut-être ? On pourrait imaginer que nous tentons de « sauver les apparences » comme  Ptolémée avec ses épicycles. Mais la différence c’est que nul ne nous demande de sauver quoi que ce soit et qu’avant de jeter le bébé avec l’eau du bain il est plus sage d’explorer toutes les voix possibles. De toutes façons la théorie du Big Bang est un cadre, en réalité il y a des dizaines voir plus de variantes du Big Bang ! On peut imaginer de multiples combinaisons possibles avec ou sans énergie noire ou masse manquante, avec ou sans inflation, etc… Le tout est de veiller à ne pas s’obstiner à faire vivre une théorie artificiellement pour «  sauver les apparences » précisément !

L'Univers nous échappe

6/        Selon les calculs, la matière noire représenterait 25% de la masse de l’Univers et l’énergie noire 70% … Cela ne laisse que 5% à la matière dite « ordinaire », c’est-à-dire celle que l’on peut observer et surtout celle à partir de laquelle tous nos modèles théoriques sont basés !
Comment pourrait-on ainsi prétendre pouvoir raconter l’histoire de l’Univers en n’ayant que 5% des pages du livre sous les yeux ?

Oui, c’est ce que l’Univers semble dire.  Restons modestes, non !? Mais que signifie « voir » ? Après tout, quelqu’un a-t-il déjà vu un électron ?

La physique en crise ?

7/        Incompréhension de la matière noire et de l’énergie noire, doute sur le fond diffus cosmologique, découverte de galaxie massive et vieille de 13 milliards d’années, … Comment et avec quelle ampleur doit-on appréhender cette accumulation d’obstacles : détails à régler ou sérieuse remise en cause de nos modèles théoriques ?

Il se peut qu’il y ait une véritable crise de la physique qui se profile bientôt. On le saura d’ici peu. Le plus difficile semble être de réconcilier l’infiniment petit (et ses trois forces unifiées) avec l’infiniment grand (avec la gravitation). Mais le Big Bang est devenu un enjeu  de la physique, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Où trouver une issue à la crise de la physique ?

8/        Aujourd’hui, la recherche cosmologique suit-elles des pistes sérieuses pour répondre à ces questions ? Si oui, quelles sont-elles ?

De nombreuses pistes sont explorées. Les adeptes de la géométrie semblent ignorer l’énergie noire et explorent la relativité générale et sa géométrie ; les défenseurs de la « matière » cherchent à découvrir les gravitons (expérience Virgo), l’origine de la matière sombre et de l’énergie noire etc… d’autres explorent les failles topologiques de l’univers au moment du Big Bang …

Une autre physique

9/        On parle souvent de la gravitation quantique comme étant le Saint Graal pour les cosmologistes, car cette théorie permettrait enfin d’unifier la relativité générale et la physique quantique, l’infiniment grand et l’infiniment petit, afin d’offrir à nos yeux une vision du monde complète et cohérente.
Une telle théorie permettrait-elle d’expliquer ce qui est aujourd’hui encore inexplicable, comme le pourquoi et le comment de l’énergie sombre et de la matière noire, et de palier aux incohérences que nous rencontrons aujourd’hui ?
On entend parfois dire que la gravitation quantique ne serait pas une solution, que la physique est dans l’impasse, et qu’il faudrait inventer une autre physique …
Que peut bien vouloir dire une « autre physique » ?

Une autre physique comme par exemple la théorie des cordes qui postule l’existence de particules vibrantes au sein même des particules existantes et qui permettraient de rendre compte de la variété des particules existantes (avec leurs  masses, charges, etc…) et de leurs interactions (les quatre forces). On  retrouve la physique que l’on connaît mais on l’enrobe dans une super théorie. Bref, beaucoup rêvent d’une réconciliation entre les visions non concordantes des deux infinis (grandes et petites).

Le dogmatisme scientifique ?

10/        S’il y a bien une réussite de la physique, c’est la relativité générale (donc le modèle standard, donc le Big Bang) … Car sa cohérence est indéniable et jusqu’à présent les astronomes ont toujours pu observer ce qui avait été prédit par la théorie.
Aujourd’hui ce n’est parfois plus le cas … Aussi, on pourrait considérer que les nouveaux paramètres qu’on lui a greffé (matière noire, énergie sombre, théorie des cordes) sont autant de sparadraps servant à masquer les égratignures. En effet, on a pris l’habitude d’inclure des paramètres servant à masquer les incohérences entre observation et théorie. Cela peut faire penser à du rafistolage.
Par exemple, on a constaté que les galaxies étaient trop peu massives pour qu’elles aient pu se développer en si peu de temps, alors on a ajouté le paramètre « matière noire » et le problème était réglé. Idem avec l’expansion de l’Univers, on s’est aperçu qu’elle accélérait trop vite et que cela ne collait pas avec la théorie, alors on a ajouté une force répulsive contrant la gravitation, qu’on a appelé énergie sombre et le tour était joué.
Le raisonnement est le même lorsqu’il s’agit d’unifier la relativité générale à la physique quantique. La théorie des cordes semble être une voie prometteuse, mais à condition qu’on veuille bien y inclure plusieurs dimensions d’espace, afin qu’elle puisse être en accord avec la relativité générale … Le Big Bang semble être devenu une référence incontournable, voire inattaquable.
Les nombreuses publications de vulgarisation scientifique ne laisse même plus la place au doute ; pourtant, ne s’agit-il toujours pas d’une hypothèse ?
N’y a-t-il pas là danger à tomber dans le dogmatisme ?

Je ne pense pas que la théorie des cordes soit si prometteuse que cela. Beaucoup y renoncent déjà. Je ne vois pas de dogmatisme. En réalité, il y a beaucoup de chercheurs qui travaillent sur des théories très différentes ; la plupart dans le cadre du Big Bang, certes, mais simplement parce que le Big Bang est un modèle économique qui rend compte simplement de faits non remis en cause à présent (le rougissement des spectres  des galaxies par exemple). Mais dans ce cadre, il y a une quantité importante de théories concurrentes (cordes, supersymétrie, branes, contournement des singularités, etc…).

Vous avez raison de parler d’hypothèse, nous le savons tous même s’il est utile de le répéter à chaque fois. Ceci dit, ce qui compte c’est la pertinence d’une hypothèse et ce qu’elle permet. L’hypothèse des fluctuations initiales donnant naissance aux galaxies observées aujourd’hui à permis d’envoyer COBE, WMAP et PLANCK. Autant d’expériences enrichissantes !

Les ouvrages de Daniel Kunth

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